Jean-Sébastien Thirard, ancien président de l’association LGP Paris, raconte l’histoire des premières marches, entre 1991 et 1999.
Avant 1991
Au milieu des années 80, les Lesbian & Gay Pride étaient devenues exclusivement commerciales et les associations les avaient de ce fait désertées. En 1989, des militants décidèrent de créer une fédération pour tenter de redonner son sens initial à une manifestation avant tout revendicative et de visibilité, de faire retrouver à cette marche un caractère davantage politique capable d’aider à faire progresser nos droits et l’opinion publique vis-à-vis des gais et lesbiennes. Ce rassemblement, présidé par Jean Le Bitoux, était une organisation tripartite composée d’associations, d’organes de presse et de structures commerciales, dont les sociétés de David Girard (qui contrôlait l’immense majorité des journaux, boîtes, sauna..). Celui-ci avait pu constater en 1988 que le monopole de la marche qu’il pensait avoir suscitait méfiance et désaffection. Si cette organisation a mis tout en oeuvre pour atteindre ses objectifs, les intérêts divergents de ses responsables ne lui ont pas permis de poursuivre la tâche qu’elle s’était donnée. Aussi, en 1991, émergea l’idée d’une association composée uniquement de personnes physiques dégagées d’autres activités militantes qui auraient comme unique travail d’organiser la manifestation.
La mise en place des acteurs
L’association Gay Pride fut fondée après un appel via la presse gaie et lesbienne en février 1991. Pour répondre à l’aspect collectif de l’événement, il fut poursuivi ce que la Fédération avait mis en place : des assemblées publiques mensuelles destinées à déterminer les grandes orientations de l’événement, le thème, le mot d’ordre, l’ordre de marche, etc.
Très vite deux difficultés apparurent. La première surgit au moment du choix mot d’ordre : si la majorité des associations souhaitait un thème sur l’égalité des droits des homosexuel-le-s ou la solidarité, l’association Act Up-Paris réclamait une revendication autour du sida : en clair une “sida Pride”. Après un long débat, le slogan retenu fut : ” Marche nationale homosexuelle “. Mais Act Up, refusera le choix démocratique de l’Assemblée publique, édita une lettre ouverte incendiaire lors du Salon de l’homosocialité organisé 15 jours après la décision. Nous n’avons pas répondu à cette missive afin de ne pas envenimer les choses. Nous avons simplement rappelé que derrière la banderole ” officielle “, chaque association pouvait décliner ses propres revendications.
La seconde difficulté fut que le Syndicat national des entreprises gaies (le SNEG) avait réservé en son nom la Mutualité, lieu de la fête finale et principale ressource financière de l’événement. Il faut préciser à sa décharge qu’une demande en ce sens avait été faite par un ancien membre de la Fédération. Cependant, l’ensemble des associations vit dans cet acte une mainmise des entreprises sur l’unique ressource financière de la marche. Aussi demandèrent-elles au SNEG de confier l’organisation de cette fête à la seule organisation Gay Pride.
Face aux association unies, le SNEG s’exécuta après un échange de courrier aigre-doux. Précisons ici que de nombreux journaux gais faisaient partie de ce syndicat patronal. Ceci explique pour partie leurs chroniques de l’événement et de son organisation. En effet – nous le verrons plus tard -, la grande majorité de la presse gaie préféra évoquer les claquements de pupitres des réunions interassociatives plutôt que le travail effectué en commun tout au long de l’année. Le 28 avril 1991, MM Sourdilles et Jolibois, sénateurs de droite, proposèrent au débat du Sénat le rétablissement, dans le Code pénal français, de l’article 227-18 (aboli en 1981 grâce à l’action de Robert Badinter, alors ministre de la Justice), sanctionnant les rapports entre un majeur et une personne du même sexe âgée de 15 à 18 ans. Ils souhaitaient également criminaliser la dissémination involontaire du sida. Les associations furent promptes à réagir même si les mieux au fait de la chose politique savaient que le risque d’une adoption de telles propositions était inexistant (l’Assemblée nationale ne les aurait pas votées). Il était clair qu’il s’agissait d’un ballon d’essai de la droite la plus réactionnaire pour le cas où elle reviendrait aux affaires. Une semaine plus tard un rassemblement de protestation eut lieu non loin du Sénat le lundi 6 mai 1991. Quelque 400 personnes environ y participèrent. En revanche, une pétition circula, signée par des personnalité telles que Nicole Croisille, Juliette Gréco, Gisèle Halimi, Georges Moustaki… Nous l’avons fait paraître, sous forme de publicité, dans le journal le Monde. Celle-ci obtint un franc succès auprès des gais et des lesbiennes : 5 000 signatures furent recueillies en un temps record. La proposition de loi, évidemment, ne fut pas adoptée, ni même débattue.
Pendant ce temps, les associations programmèrent des animations au cours de la semaine de la marche. Celles-ci comprenaient des débats, de nombreuses fêtes, des spectacles… Un programme de 4 pages (les moyens de l’époques étaient limités) fut tiré à 12 000 exemplaires. Le samedi 22 juin 1991, de la Bastille à Richelieu-Drouot, près de 6000 personnes défilèrent. Ce succès ne fut que relatif car l’aspect commercial collait encore trop à l’événement (de nombreux témoignages de l’époque allaient dans ce sens), malgré les efforts des associations pour rendre le défilé plus revendicatif. Quelques mois ne suffisent pas à faire passer un message ! Il fallut attendre 1993 pour voir l’image de la marche évoluer auprès des gais et des lesbiennes. D’autant que la majorité des entreprises invitées à participer à la marche n’avaient guère laissé de côté leur arsenal commercial.
Une presse gaie réservée, une société civile bienveillante
Pour illustrer notre précédent propos sur la presse, citons un extrait de l’éditorial du rédacteur en chef de Gai Pied paru le 27 juin 1991 : ” … Qui aurait parié, au vu des conditions de l’organisation, sur une participation aussi importante à la manifestation de l’après-midi ou à la fête de la Mutualité” ? Et de tirer à boulets rouges sur les différents incidents qui avaient émaillé cette préparation, faisant fi de tout le travail interassociatif pour créer une manifestation unitaire, pour réagir ensemble contre le Sénat ou offrir un véritable programme d’activités. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner du faible investissement des gais et des lesbiennes qu’on ne tenait informé-e-s que des quelques dissensions qui pouvaient exister… ici comme dans tout organisation associative, politique ou syndicale. Mais, si la marche n’avait pas encore bonne presse dans le monde gai, elle intéressait davantage les acteurs majeurs de la société civile. On peut noter à ce sujet que la Ligue des droits de l’Homme a appelé à participer la marche dès mars 1991. Il était en effet très important pour nous d’associer à la Lesbian & Gay Pride d’autres associations de défense des droits de l’Homme, des syndicats… afin d’ouvrir la LGP à la cité et de marquer notre volonté de la “décommunautariser”. Pendant neuf ans, ce fut l’un des travaux de l’association LGP que de sensibiliser l’ensemble de la société aux questions soulevées par les gais et les lesbiennes et de lui montrer que notre association est solidaire des antiracistes et de toute organisation qui combattait l’exclusion. La marche n’est pas un mouvement à part, mais un lieu de rassemblement, de revendications et de solidarité ouvert à toutes celles et à tous ceux qui combattent l’ostracisme, une marche ouverte sur la cité. Cette volonté de ” décloisonnement ” a toujours été nôtre, afin de montrer à la société que les droits des homos et des lesbiennes sont indissociables des droits des autres citoyens. L’homophobie et le racisme ont en effet des points communs parmi lesquels la peur de l’autre, et son rejet. C’est pourquoi, en toute logique, au lieu de nous complaire dans un communautarisme qui nous aurait enfermés, dès 1992, nous appelions à des marches pour la défense des droits de l’Homme.
Une volonté de visibilité au service de tous
Après la marche de 1991, une délégation fut reçue à l’hôtel Matignon par M. Louis Joinet, conseiller auprès du premier ministre Michel Rocard. La LGP avait invité d’autres associations à participer à cette entrevue. En effet, notre souhait était de valoriser le travail des acteurs plus particulièrement intéressés par telle ou telle question afin de rendre cohérent l’aspect fédérateur de l’association. Il nous semblait productif de mettre en valeur la collégialité de notre groupe. A l’issue de cet entretien, le conseiller de l’Hotêl Matignon nous invita à produire un texte concernant nos différentes revendications : pour la première fois depuis de nombreuses années, le pouvoir politique prenait en compte une manifestation homosexuelle et considérait de nouveau les associations gaies et lesbiennes comme des interlocuteurs fiables.
Il est enfin à noter que pour cette année, nous avions le soutien des ministères de la Santé et de celui de la Culture. Dès le 16 juillet 1991, nous fîmes parvenir aux associations la trame d’un document en demandant à chacune de l’amender et d’y ajouter ses propres revendications. À l’automne, une commission de travail se réunit afin de faire la synthèse des différentes suggestions apportées. Un document, le “Livre blanc” désormais baptisé “Cahier revendicatif”, résultat d’un réel travail de documentation et d’analyse, fut proposé à la discussion des associations. Il comportait deux parties : l’histoire et l’analyse du mouvement gai et lesbien et ses demandes. Deux réunions réunissant plus de 40 personnes eurent lieu afin d’obtenir une écriture collective pertinente. Ce texte fut signé par plus de 30 associations, adressé rue de Varenne avec une demande d’entretien, porté par une délégation composée d’un membre de la LGP et d’un représentant de chaque commission de travail mise en place : reconnaissance de la déportation des homosexuels/lles pendant la seconde guerre mondiale (Flamands Roses de Lille), Collectif pour le Contrat d’Union Civile (CUC), prévention du sida en milieu gai (AIDES), questions liés aux étudiants des grandes écoles et université (GAGE).
Cette délégation fut de nouveau reçue par M Joinet le 31 mars 1992. Ce dernier pris note de la représentativité de la délégation, issue d’une grande partie du mouvement militant homosexuel. Les principaux dossiers examinés furent le Contrat d’union civile (CUC) (notre interlocuteur ne nous cacha pas la difficulté de la tâche à accomplir…), et la reconnaissance de la déportation d’homosexuel-le-s. Bien que difficilement, ce dernier dossier allait avancer dans les années qui suivirent puisque dans plusieurs villes de France – dont Lille et Besançon -, des dépôts de gerbe purent avoir lieu, comme c’était le cas à Paris depuis 1980. Certes pas en même temps que la délégation officielle, mais tout de même ils eurent lieu.
Cette première victoire fut l’une des rares de 1992. En effet, les négociations avec les partis politiques et les associations piétinaient, ainsi que notre travail avec la presse. La marche ne réunit que 5 000 personnes, qui bravèrent une pluie battante. Nos efforts n’étaient pas encore couronnés…
La forte montée en puissance de la marche
La Lesbian & Gay Pride de 1993 fut encore plus difficile à organiser : seules quatre (!) personnes travaillèrent à son élaboration : Pascal Dutertre, Freury Drieu, Jean-Marie Virat et votre serviteur. Les réunions sur le suivi du ” Cahier revendicatif ” furent peu à peu abandonnées et chacun suivit son travail séparément avec des fortunes diverses. Délaissant encore une fois – faute d’énergie – la communication envers les gais et les lesbiennes, nous avions porté nos efforts sur la “grande presse”. Pourtant, la marche fut un succès, peut-être grâce à notre investissement vis-à-vis de celle-ci, mais également en raison d’une perception différente du défilé par les homosexuel-le-s. Il faut dire que toutes et tous avaient pu prendre conscience des dangers d’une ” douce négligence ” envers la défence de leurs droits et de la nécessité absolue de conquérir une égalité des droits. De plus, l’épidémie de sida avait déjà fait de nombreuses victimes, avec son lot de deuils, de situations dramatiques… et chacun exigeaient des moyens supplémentaires pour lutter contre cette terrible maladie.. Par ailleurs, la médiatisation autour du premier projet de Contrat d’union civile avait fait grand bruit.
Ce succès fut pour beaucoup révélateur et permit à la LGP, renforcée par de nombreux éléments dont Emmanuel Goetz, Bruno Heurtel, Bruno Dion…, de préparer beaucoup plus efficacement la marche de 1994. Notre trésorerie, bien que s’améliorant, restait modeste. Ce qui, avec la faiblesse des moyens humains, induisait des manques dans notre organisation. Car, même si les soirée ludiques d’après marches étaient bénéficiaires, les entreprises montraient peu d’empressement à donner ne serait-ce que 1 000 ou 2 000 F (150 à 300 euros) pour nous aider à organiser un événement les concernant. Or, dans le même temps, elles pouvaient dépenser beaucoup plus pour la confection d’un char qui leur permettait une forte visibilité publicitaire lors de la marche. Notons cependant que quelques unes (IEM, le Duplex, La Champsmèlée, Gai Pied, le Scorpion, Connnection, Nomad…) ont accepté soit un partenariat équitable soit de soutenir de façon philanthropique la marche qu’elles ne considéraient pas comme un simple carnaval de pub ayant pour seule finalité la distribution de prospectus par charrettes entières. Elles ont été peu nombreuses, mais ici, rendons leur hommage. Conscients des faiblesses de la communication pour la marche de 1993, dès la reprise du travail de préparation pour la suivante, nous avons voulu mettre l’accent sur cet aspect. Il fut décidé la publication d’un véritable programme de 48 pages avec différents textes associatifs, le plan de la marche… Le tout tiré à 10 000 exemplaires. Pendant ce temps, la Maison des Homosexualités se transformait en Centre Gai et Lesbien et nous souhaitions aider ce lieu interassociatif. En effet, les assemblées publiques de la LGP étant jusqu’alors le seul lieu d’expression collectif, les digressions étaient donc fréquentes. Il semblait utile de disposer d’un autre forum ! Mais également d’un lieu de services et d’accueil pour les gais et les lesbiennes. La LGP décida donc de donner 33 000 F (5 000 euros) au CGL sur les recettes de la soiriée. Nous pensions que si le Centre pouvait aider les associations (lieu de rendez-vous, adresse postale, fax…), ces dernières devaient en retour l’aider dans la mesure de leurs moyens, parfois par des services rendus au public du Centre. Ainsi, de 1993 à 1995, la LGP y a-t-elle régulièrement loué des salles pour ses réunions. Par la suite, le CGL pensa ne plus avoir besoin des associations et de leur savoir-faire et se tourna vers une utilisation médiatique du lieu. De nombreuses associations décidèrent alors de se réunir ailleurs. Au même moment, une réunion nationale des organisateurs de LGP eut lieu à Tours (où se déroulait une manifestation contre le maire Jean Royer qui refusait à la Maison des Homosexualités de la ville de lui fournir une salle pour organiser une fête) afin de jeter les bases d’une coordination nationale. En 1995, des groupes rennais et marseillais organisèrent leur première marche.
Au cours de la même période, notre travail en direction de la société civile commençait à porter ses fruits. Outre la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty international et SOS-Racisme décidèrent d’appeler à la marche. Au printemps 1994, un nouveau souci vit le jour : la marche avait été fixée le 18 juin ! Il fallait pour les responsables du RPR nous éloigner le plus loin possible du centre de Paris. Il est vrai que nos relations avec la mairie de Paris (à l’époque aux mains de Jacques Chirac) n’ont jamais été au beau fixe. Après de très difficiles négociations avec la Préfecture de police, celle-ci nous obligea à partir de la place de la République pour finir sur celle de la Nation. Nous obtenions au dernier moment de pouvoir passer par la place de la Bastille. Nous sommes même aller signer le parcours de la marche à la Police judiciaire, tant on voulait nous notifier que tout ” débordement ” serait lourdement sanctionné !
Toutefois cette marche de 1994 fut un véritable succès : plus de 30 000 personnes défilèrent et, parmi elles de nombreux hétérosexuel-le-s solidaires. Ceci nous confirma dans notre volonté d’ouverture. Du coup, la couverture médiatique fut enfin à la hauteur : outre de nombreux quotidiens et hebdomadaire nationaux, les chaînes de télévision firent leur une apparition nettement plus marquée et commentèrent l’événement pour le “20 heures”.
Une meilleure communication, le travail des nombreuses associations membres de l’Assemblée publique, les contacts forts avec des organisations de défense des droits de l’Homme, la prise de conscience de nombreux gais, lesbiennes et hétérosexuel-le-s envers la défense de leurs droits et de la lutte contre le sida et l’important travail des associations de lutte contre cette maladie expliquent pour partie ce succès. Il s’inscrit également dans une démarche plus globale, où, après une certaine mise en sommeil du CUC (seules deux dispositions du projet furent votées par le Parlement en 1992) sous le gouvernement de Pierre Bérégovoy et le retour d’une droite dure, chacun comprit qu’il était temps d’installer un véritable rapport de force. Ceci se vérifia dans d’autres secteur de la société, comme lors des grandes grèves de 1995. La fête à la Mutualité fut également un immense succès, trop même. Il fallait chercher ailleurs un lieu plus vaste. Très vite, nous avons jeté notre dévolu sur l’Aquaboulevard. Un endroit qui nous permettait de renforcer le mini-salon interassociatif, d’installer un lieu d’accueil pour des personnes malades qui avaient besoin de se reposer, de créer deux espace musicaux différents et d’offrir à des associations et à des publicitaires la tenue de bars afin pour les premières de renflouer leur trésorerie et pour les seconds de faire la promotion de leur image. Nous décidâmes également de diffuser un pré-programme et un programme plus étoffé que celui de l’année précédente. Un responsable de la Fédération syndicale unifiée (FSU – principale fédération syndicale de l’Éducation nationale) nous accorda un entretien. Nos contacts avec les syndicats arrivaient à maturation. Ainsi, l’UGIT-CGT (cadres), la FSU, le MRAP, l’UNEF, l’UNEF-ID… appelèrent à la marche.
Parmi les critiques qui nous avaient été faites jusque-là, l’absence d’un podium à la fin du défilé était une des plus fortes. Aussi nous prîmes en compte cette demande et nous nous donnâmes les moyens pour que la parole fut donnée à différentes associations afin, toujours, de conserver l’aspect collectif de la marche et de ne confisquer l’expression à personne. C’est ainsi qu’une représentante de la Ligue des droits de l’Homme prit également le micro, de même qu’un responsable de AIDES, qui sollicita de l’assistance une minute de silence à la fin de la marche en mémoire de tous nos amis disparus du fait de la pandémie de sida.
Mais, en février, la création d’un journal grippa cette formidable préparation. En effet, ce journal souhait s’appeler ” Pride magazine” . Or les mots “Gay Pride” avaient été déposé en 1991 à l’Institut national pour la propriété industrielle (INPI) par notre association. Nous souhaitions éviter une récupération commerciale de ce titre (comme une soirée “Gay Pride” organisée par un établissement qui par ailleurs n’aurait jamais collaboré avec les associations). De plus, si la LGP avait déposé ce nom, ce dernier était géré collectivement par l’Assemblée publique à l’inverse d’un groupuscule qui – liberté de la presse oblige – n’aurait eu aucun compte à rendre. Il est d’ailleurs étonnant d’observer que les fondateurs du journal qui nous reprochaient le dépôt des mots ” Gay Pride ” (au nom d’une appartenance ” à tout le monde “…) l’avaient eux-mêmes déposé ! Le débat fut très dur et se termina par cette parole d’anthologie de l’initiateur du magazine Didier Lestrade, fondateur d’Act Up-Paris : ” Laissez-moi faire ce journal, je n’ai plus que x T4 ! “. Ces personnes renoncèrent au titre Pride. Las ! Act-up – ulcéré de ce qu’on ait osé s’opposer à son père fondateur ” choisit la tactique du harcèlement systématique. Le jour de la marche de 1995 ils tentèrent, en refusant de quitter le lieu de départ, de créer une seconde marche, dont ils auraient pris la tête. Mais la foule qui n’arrêtait pas de dépasser leur char, empêcha la manoeuvre.
Cet épisode ridicule n’empêcha pas le succès fantastique de la marche : 80 000 personnes défilèrent de Montparnasse à Bastille. La Lesbian & Gay Pride devenait la première manifestation revendicative de l’année ! Le pouvoir devait désormais compter avec elle. De plus, nous avons enfin pu observer une véritable visibilité des lesbiennes au sein de la marche. Le succès à l’Aquaboulevard fut tellement immense que nous dûmes, hélas !, refuser plus de 3 000 personnes.
Le désastre de Bercy
À la rentrée, et suite aux événement de juin, il fallait réagir. Nous décidâmes de renforcer la légitimité de l’Assemblée publique en créant le Conseil. Celui-ci devenait plus formel, car statutaire, et le vote des associations fit son appararition. Sa création fut approuvée à l’unanimité moins une abstention : Radio FG.
Ce travail sur la structuration d’une légitimité et l’organisation interassociative nous empêcha de créer une structure dont le rôle aurait été d’organiser la fête finale. En effet, malgré deux salariés et plus de 40 bénévoles, les militants associatifs s’épuisaient dans l’organisation d’un tel événement. Funeste erreur !
L’Aquaboulevard étant trop petit, il fallait trouver un autre lieu. Mais les portes se fermaient les unes après les autres (les locaux étant souvent de près ou de loin liés à la mairie de Paris). Malgré le succès de la marche, notre principale mission, Act-Up et radio FG nous sommèrent de trouver un lieu plus grand. Et nous tombâmes dans le panneau ! Après un bras de fer médiatique nous obtîmmes Bercy, mais seulement quinze jours avant l’événement. Ce cadeau empoisonné de la mairie (la pelouse de Boulogne nous auraient coûté beaucoup moins cher) ajouté aux fêtes organisées par les associations citées plus haut et l’autorisation d’ouverture de nuit des bars gais obtenue par le SNEG savonnèrent la planche, alors que l’organisation de la fête avait été décidée démocratiquement lors d’un Conseil. Le bilan fut rude. Nous perdîmes plus d’un million de francs (152 000 euros). Il est clair que notre principale erreur fut d’écouter les sirènes des donneurs de leçon !
Nous avions obtenu la participation à la marche du Parti socialiste, du Mouvement des citoyens, des Verts et du Parti communiste en plus de toutes les autres associations de la société civile citées plus haut, et d’autres encore. Nous avions également obtenu la prise de parole sur le podium place de la Nation de représentants de la LDH, d’Amnesty international, du MDC, de la CGT et du PS. Ce dernier, qui était François Hollande, fut particulièrement sifflé. Les gais et les lesbiennes n’avaient pas oublié les promesses non tenues, notamment en matière de reconnaissance des couples homosexuel-le-s. A l’inverse, Jan-Paul Pouliquen, initiateur de la projet de loi sur le contrat d’union civile, eut droit à une belle ovation.
Plus de 150 000 personnes défilèrent ce jour-là. Mais, malgré cette réussite historique, seul (ou presque) fut retenu par la presse gaie le désastre de Bercy. Ce succès était pourtant l’aboutissement des efforts de tous : associations, militants, marcheurs anonymes. Succès qui, par le formidable travail de communication notamment en direction de la presse généraliste, nous permit de faire passer les nombreuses idées et revendications développées lors des Conseils et loin des a priori que souvent cette presse véhiculait. Succès qui, par le dialogue incessant avec les politiques et la société civile, put faire comprendre que la Lesbian & Gay Pride était ce grand rassemblement contre l’exclusion et pour l’égalité des droits pour tous. Succès qui, par un travail quotidien, souvent ingrat, permit de convaincre un si grand nombre de participer à la marche…
Mais, face à la catastrophe financière de la soirée que n’avait pas compensé l’octroi lors de la marche (sorte de quête où chaque marcheur est appelé à donner quelques sous), il fallut réagir pour ne pas compromettre tout ce qui vait été fait. L’appel aux dons que nous avons lancé n’a que très peu rapporté. Germa alors l’idée de créer une société anonyme qui gèrerait les marques Lesbian & Gay Pride et EuroPride en contrepartie d’une aide financière. Un partage des métiers en quelque sorte. Cette solution se révéla efficace et permit à la LGP, organisation politique, de ne pas disparaître pour une cause financière.
Dans les premiers temps, le travail en commun fut difficile, notamment parce que le directeur de l’époque (1996-1997) de la Sofiged (la SA créée) confondit intérêts communs et carrière personnelle. Cependant il faut ici remercier les entreprises et les personnes qui ont investi dans la société, car elles ont permis de sauver la LGP et l’événement politique. La Sofiged a, par la suite et encore aujourd’hui, parfaitement rempli sa mission en respectant la séparation des rôles : à la LGP et son Conseil interassociatif le travail d’organisation de la marche et le politique, à la société les aspects financiers qui en découlent. De plus cette séparation du politique et du financier était nécessaire (une association de militants ne peut pas gérer un budget de 4 millions de francs – 610 000 euros – et prendre en charge tous les événements connexes de la marche). Cette cohabitation, faite aujourd’hui du respect de la tâche de chacun, a fini par faire taire les Cassandre qui, à l’époque, nous accusaient d’avoir vendu notre âme au diable. Notre âme n’était pas à vendre et le diable n’était pas celui qu’on aurait pu croire.
Nous décidâmes également de renforcer le rôle du Conseil en créant deux commissions, l’une politique pour évoquer ensemble nos rapports avec les pouvoirs publics, l’autre organisant des fêtes afin de récolter des fonds pour permettre à des associations sans le sou d’organiser un char et de rendre ainsi le début de la marche plus visible et plus revendicatif.
Le fabuleux succès de l’EuroPride
Nous pûmes ainsi rebondir sur l’organisation de l’EuroPride qui nous avait été confiée par l’European Lesbian & Gay Pride Association (EPOA). C’est d’ailleurs lors d’une réunion à Paris de l’EPOA que fut décidée la World Pride à Rome en l’an 2000. Epuisés et meurtris par l’expérience de Bercy, les militants de la LGP se remirent pourtant à l’ouvrage. Parmi ceux-ci, citons Laurent Queige, Emmanuel Petit, Muriel Fauriat, Pascal Chaudron, Jean-Frédéric Sanconie, Yves Gatignol, Dominique Touillet… qui, par leur dévouement sans faille, ont permi la formidable réussite de l’EuroPride.
Ainsi, le 27 juin 1997, 300 000 personnes défilèrent dans les rues de Paris, et parmi elles de nombreux étrangers. Beaucoup de personnalités du monde politique ont également défilé derrière le carré de tête. Parmi elles : Dominique Voynet (ministre de l’Environnement), Jack Lang, Bertrand Delanoë…
La commission politique travailla à placer cette Europride dans un contexte européen, en produisant un manifeste qui allait être adopté l’année suivante comme la charte de l’EPOA, et en intensifiant nos contacts politiques dans le cadre de la négociation du Traité d’Amsterdam, premier traité au monde à mentionner l’orientation sexuelle. Nous pouvons, sans rougir, affirmer que nous n’y sommes pas pour rien, même si de nombreuses autres associations européennes y travaillaient également, notamment l’ILGA avec laquelle nous collaborions. Le nouvel article 13 du Traité aura été à l’origine des législations contre la discrimination, mises en oeuvre au niveau européen comme au niveau national.
Ce succès a aussi permis la publication de la brochure Gay Friendly France par le ministère du Tourisme, qui a depuis sucité le courroux d’un parlementaire de droite. A cette époque, la coordination nationale des LGP (une dizaine de ville organisaient des défilés, un record en Europe) se transforma enfédérationafin de rendre le travail plus constructif et d’élaborer une charte des organisateurs de LGP. Celle-ci avait pour objectif de confier le label LGP aux seules organisations qui respectaient la charte.
La bataille du PACS
Pendant ce temps, le PACS (déjà revendiqué par la LGP dès 1996) devenait le mot d’ordre majeur des associations du Conseil, en dépit de quelques rares (mais bruyantes) autres qui préféraient défendre le mariage ou l’adoption. Nous pensions d’abord qu’il s’agissait de leur part d’une erreur stratégique : à tout demander d’un coup, nous risquions de ne rien obtenir. Mais surtout, nous voyions dans le PACS une avancée moderne et universelle de nos droits. Si au début (en 1992), seul le Collectif pour le CUC défendit son projet, l’affirmation de l’égalité des droits, les drames liés au sida et la volonté d’intégration sociale firent prendre conscience aux associations de l’urgence de défendre ce texte. Et ce, malgré une tentative de récupération par la fédération Aides avec son Contrat de vie sociale (qui plus tard défendra le mariage contre l’avis de nombreux de ses comités locaux dont celui de Paris !). Ainsi que par une tentative de captation d’événement de la même association qui organisa 4 jours avant l’événement une conférences de presse sur le mariage !
En 1998 et 1999, 200 000 personnes défilèrent dans les rues de Paris portant haut et fort la revendication du PACS. Et si nous rendons ici hommage au travail du Collectif pour le PACS, l’importance de la manifestation n’est pas étrangère, loin de là, à l’adoption de cette proposition de loi par le Parlement.
En conclusion
Aujourd’hui, l’association LGP a dû cesser ses activités faute d’argent et donc d’énergies, une autre association a pris la relève en travaillant sur les mêmes principes que précédemment. En effet, nous pouvons nous targuer d’avoir légué non seulement un événement important dans la vie politique française, mais également un fonctionnement qui permet à la fois à des militants de prendre en charge des dossiers et aux associations de faire entendre leur voix à l’occasion des réunions interassociatives, bref de marier efficacité et travail collectif autour de l’événement Si les entreprises ont toujours été les bienvenues lors de ces Conseils, mis à part celui concernant l’ordre de marche !, rares sont celles qui y sont venues et qui ont participé au travail quasi quotidiens des militants. La légitimité de l’organisation de la marche appartient de ce fait aux associations. Les sociétés, dans leur très grande majorité, n’ont fait que profiter de cette organisation. Le débat concernant leur participation en tête de marche n’a donc que bien peut de sens pour cette raison. Mais également, parce que cela remettrait en cause cette visibilité militante et citoyenne que nous avons eu tant de mal à mettre en place. De plus, les entreprises ont souvent trop tendance à confondre le nombre des adhérents des associations et leurs propres clients…
On peut faire ici un parallèle entre ce mouvement homosexuel et le combat des femmes pour l’égalité des droits plusieurs décennies plus tôt. C’est en effet par un travail acharné de toutes les associations gaies et lesbiennes et par une prise de conscience collective, que la marche a aujourd’hui le succès qu’on lui connaît. Celui-ci a créé les conditions d’un vaste débat public national sur l’homosexualité, permettant une forte visibilité, des avancées considérables sur le chemin de l’égalité des droits (même s’il reste beaucoup à faire) et, par le fait, une intégration plus importante des gais et des lesbiennes au sein de la société française. Affirmer ceci n’est pas s’accaparer un succès forcément pluriel, mais souligner que grâce à notre opiniâtreté et à notre volonté politique, nous avons largement contribué à faire sortir l’homosexualité d’une exclusion, somme toute assez “gauloise”, et à franchir un pas décisif vers le droit à l’indifférence, compris comme accomplissement du droit à la différence.
Ont participé à la relecture de ce texte : Dominique Touillet (secrétaire général de la LGP de 1989 à 1990, puis de 1996 à 1999), Laurent Queige (vice-président de la LGP de 1995 à 1999), René Lalement (membre de la commission politique du Conseil de la LGP de 1996 à 1999), Jean-Frédéric Sanconie (trésorier de la LGP de 1996 à 1999), Denis Quinqueton (secrétaire général du Collectif pour le PACS de 1994 à 1999), Karole Trémeau et Ioana Mayhead (militantes lesbiennes).