Nous reproduisons ci-dessous le texte d’appel à se rassembler publié par Act Up Paris à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida. En ce jour spécial, les militants veulent se souvenir de leurs mortEs, et rappeller que VIH/SIDA ou COVID, les épidémies ont aussi une dimension politique.
« Le sida c’est la guerre, Act Up en colère ». C’est de cette colère, partagée par nos camarades d’Act Up Sud-Ouest que part notre constat que le VIH est une épidémie politique. Ces mots ont une signification, nos mortEs ne sont pas un débat mais notre réalité. Alors que nous nous heurtons depuis des années à la politique de la réduction des coûts, dans l’action publique et dans le financement de la sécurité sociale, nous avons eu le droit aux applaudissements du gouvernement reconnaissant que l’action associative a permis à l’État une économie de deux cents millions d’euros. Soutenus pour nos alliéEs du Sidaction, nous nous sommes substitués depuis trente ans aux services publics avec l’action bénévole et quelques emplois salariés. Ces services publics, démembrés par les politiques d’austérité sont aujourd’hui à genoux et notre organisation doit faire face au vertige du vide.
La crise sanitaire engendrée par la Covid s’est superposée à ce démembrement des hôpitaux, les soignantEs ont dû faire face à la fureur de ce virus avec des moyens largement insuffisants. Le président de la République a lui-même reconnu que la lutte contre l’épidémie était une guerre. Au-delà de la stupéfaction d’entendre, après trente ans, nos mots finalement repris au plus haut sommet de l’État, bien que pour une autre épidémie, ce constat ne peut rester sans réponse. Cette réponse ne peut passer que par des décisions politiques. La substitution des associations à l’État n’est pas suffisante. Le fait que les associations n’aient pas été impliquées dans la gestion de cette épidémie reflète le dysfonctionnement profond de la démocratie sanitaire.
Parce que les épidémies touchent plus violemment certaines populations que d’autres, les décisions politiques sont indispensables pour faire face et protéger les plus vulnérables. L’absence de telles décisions est une complicité avec le virus. La lutte contre le VIH-sida est une guerre et comme toutes les guerres, elle a ses collaborateurs. Ceci est également valable pour l’épidémie de la Covid.
Depuis le mois de mars 2020, les populations vulnérables que nous suivons le sont encore plus. Les travailleurSEs du sexe voient leurs revendications piétinées par un Ministère de l’Egalité qui assume honteusement son incompétence en la matière. Localement, nous distribuons des capotes aux travailleurSEs du sexe de Belleville et nous constatons que la demande ne fait qu’augmenter. Un fonds d’urgence pour compenser la perte de revenu durant le confinement n’a toujours pas été créé. Un moratoire sur les amendes, la pénalisation des clients et les arrêtés anti-prostitution ne sont toujours pas lancés. Le soutien financier aux associations organisant l’aide aux travailleuSEs du sexe, notamment pour le maintien dans le logement et les colis alimentaires se fait par des fonds privés. Sans oublier la régularisation des travailleurSEs du sexe sans-papiers sans quoi il est impossible d’accéder au travail dans l’économie formelle. Comment faire de la prévention en santé sexuelle quand autant d’entraves aux droits fondamentaux se dressent devant des vies humaines et les associations qui les accompagnent ? La Covid a encore plus éloigné les personnes nées à l’étranger des parcours de santé. Payant déjà un très lourd tribut au VIH, cette population est encore plus précarisée par la situation actuelle, alors que depuis 2017, le nombre de titres de séjour pour soin pour les personnes séropositives a connu une chute dramatique.
La disparition des financements pluriannuels des projets portés par les associations sabote notre lutte. Comment mettre en œuvre un véritable projet d’accompagnement, de suivi, de recherche et de vulgarisation scientifique si chaque année, six mois sont passés à remplir des demandes et attendre des réponses tandis que les six autres mois sont passés à démontrer que l’argent est utilisé à bon escient ? L’état ne s’embarrasse pas de telles justifications avec les entreprises privées. En santé publique, on ne peut pas faire mieux avec rien. Les services publics et les hôpitaux font face à cette même injonction. La situation exige pourtant des investissements massifs dans les hôpitaux, dans les dispositifs de Santé Publique sur l’ensemble des territoires français, une revalorisation des salaires des soignantEs. L’État doit soutenir financièrement les associations de santé communautaire, ce qu’il fait très peu, en accroissant les subventions pour qu’elles puissent accompagner leurs publics dans cette crise. Faire face aux pandémies nécessite également d’imposer la transparence dans les politiques et le prix des médicaments.
Après 30 ans de lutte, le constat reste amer. Nous, séropositifs, subissons toujours des discriminations dans l’accès au logement, aux emprunts, dans nos milieux professionnels et au sein même de notre communauté. On ne le dira jamais assez, une personne sous traitement ayant une charge virale indétectable ne peut pas transmettre le virus. Cette nouvelle pandémie fragilise notre communauté, elle entrave l’accès à la prévention, aux dépistages, aux soins et à la délivrance de la PREP. La Covid a des conséquences majeures sur la lutte contre le VIH-SIDA dont nous mesurons à peine l’ampleur. Après 30 ans d’existence, nous constatons que nos droits sont toujours soumis à débat et l’objet d’instrumentalisations abjectes. La PMA n’est pas ouverte à toutes, les personnes trans se voient nier leur droit à l’auto détermination, les personnes intersexes continuent d’être mutilées, les thérapies de conversions ne sont toujours pas interdites.
Nous ne marcherons pas cette année. En ce 1er décembre, nous nous souvenons de nos mortEs, fidèles à cette mémoire et à notre combat. Notre communauté, décimée par le Sida est encore meurtrie par cette autre pandémie. Sida, Covid, nous restons inébranlables dans notre détermination, pour que cesse cette hécatombe.
Act Up ! Fight back ! End aids !